Anti-préface

Avant l’histoire… une salle. Un couloir. Un script. Un casting sauvage.

Dans le couloir : (bruit de pages qu’on tourne, de gobelets en plastique, de soupirs)

Nox :

— J’vous préviens : si c’est pour jouer la petite victime, j’me casse.

Zeb :

— Tu vas survivre à un vaisseau plein de cadavres et prendre le contrôle d’une méga-corporation.

Nox :

— … ah. OK. J’reste.

Zeb :

— Elle va me foutre un bordel, j’vous le dis tout de suite.

Le contremaître qui lit ses lignes et lève les yeux au ciel :

— Sérieux ? Sérieux ??? Je suis un minable pervers de fond de mine ? Je voulais être inspecteur minier, moi, j'avais un plan retraite.

La pirate, qui lit sa scène d’échec :

— Bon. D’accord. J’échoue, ok. Mais au moins je suis sexy, hein ? … hein ? … Non ? … Sérieux ??

Le vieux mafieux :

— Donc. J’ai 82 ans. Je suis à la tête d’un empire interstellaire. Et une gamine crade de 13 ans me fout à poil devant la Fédération ? C’est une blague, ce scénario ?

Camélia, douce et impassible, qui lit ses répliques avec un sourire :

— ...et je passe toutes mes nuits nue avec elle ? ...Très bien. Je prends le rôle.

Nox qui les regarde tous et balance :

— Allez-y. Grattez vos lignes. Vendez vos âmes. Moi, j’vais juste vous bousiller les scènes.

Dans la salle :(bruit d'une porte qu'on claque)

(silence. Pas de salutation. Une silhouette entre. Brindilles de cheveux noirs en bataille. Pieds nus. T-shirt crade. Combinaison nouée à la taille. Elle avance comme si le sol lui appartenait.)

L’Auteur :

Merci d’être venue. Installe-toi.

Nox : (s’installe sur la table, pas sur la chaise)

— Nom : Nox. Pas Cornélia, t’avise même pas. C’est Nox. Tu es qui, toi ?

L’Auteur :

Je suis celui qui va t’écrire.

Nox : (long silence. Elle me regarde. Défi dans les yeux)

— Alors t’as intérêt à t’accrocher. J’suis pas un p’tit rôle. J’suis la claque qui réveille. Tu veux quoi ? Que je lise ton texte, là ?

L’Auteur :

Oui. Prends cette page. C’est une scène.

(Nox prend la page, la lit à voix haute, un sourcil levé.)

"Nox se réveille dans sa cellule. Les murs suintent. Elle fixe l’ampoule au plafond, les bras croisés, et attend le bon moment pour fuir."

Nox :

— Sérieusement ? J’attends ? T’as cru que j’étais du genre à attendre ?

(jette la feuille derrière elle)

— OK, écoute. Moi j’vais pas réciter. J’vais t’dire comment ça va s’passer. Tu veux une gosse ? T’as une gosse. Mais pas une mignonne avec des couettes, hein. J’suis sale, j’suis en colère, et j’vais niquer ton intrigue si elle me plaît pas.

(Elle éclate de rire. Un vrai, un qui claque, un qui gifle l’univers. Elle se tape la cuisse, roule des yeux, et me pointe du doigt.)

— C’est pas que j’suis désorganisée. C’est que j’suis… chaotiquement opérationnelle. Voilà. C’est un style de gestion.

(Elle s’approche, bras croisés, l’air faussement sérieuse.)

— Et tu sais quoi ? Si t’en voulais une sage, propre, bien coiffée, t’avais qu’à écrire un conte pour enfants.

(Elle me donne un petit coup d’épaule, complice.)

— Mais non. Toi, t’as écrit MOI.

(Elle sourit. Vraiment. Un sourire tordu, cabossé, magnifique.)

— Et j’suis bordélique.

(Elle me tend le poing.)

— Alors. Tu le cognes, ou tu le laisses en suspension ?

L’Auteur :

— Tu risques de souffrir.

Nox en sortant : (léger sourire en coin)

— Cool. Mais t’as intérêt à les faire morfler aussi. Sinon j’me barre du livre.  J’suis pas un rôle, moi. J’suis une révolte avec des jambes.

(porte entrouverte, nez qui passe, soupir qui traîne)

Zeb :

— J’ai attendu douze minutes dans le couloir. Douze. T’sais que j’ai pas signé pour ça ?

L’Auteur :

Tu veux pas lire tes lignes d’abord ?

Zeb : (s’asseoit, jambes écartées, bras croisés)

— Je les ai lues. J’crève pas. J’survis. Je gueule. Je râle. Je m’attache. Mais…

(il se penche, plus sérieux)

— ...j’fais quoi, exactement, là-dedans ?

L’Auteur :

Tu prends soin d’elle.

Zeb : (il hoche la tête)

— Ouais. Ça, j’veux bien. Elle mérite. Mais t’as conscience que c’est moi qui vais devoir rattraper tes conneries, hein ? Quand elle pète un câble. Quand elle balance un cargo dans une station. Quand elle tombe amoureuse d’une foutue survivante en miette.

L’Auteur :

Tu vas l’aimer comme ta fille.

(Zeb reste silencieux un moment. Puis il lève un doigt)

— Une condition.

L’Auteur :

Je t’écoute.

Zeb :

Tu m’laisses l’appeler comme je veux. Nox, OK. Mais moi j’peux l’appeler P’tite Bête, Cradox, ou Foudre-sur-pattes si j’veux. C’est mon droit.

L’Auteur :

— Elle aimera pas, mais… marché conclu.

Zeb : (sourit en coin)

— Bon. Dans ce cas… Tu peux m’écrire.

(Il se lève. Tape deux fois sur la table. Sort.)

(la porte ne s’ouvre pas. Une lumière s’allume. L’ordinateur sur la table se met à clignoter.)

Terminal : Connexion entrante… Unité C.R.A.F.T – Protocole : CASTING_001 Authentification en cours… Erreur. Code 327_b : présence organique requise. Reconnexion…

Craft :

Bonjour. Est-ce ici que se négocient les affectations narratives ?

L’Auteur :

Oui. C’est ton tour.

Craft : (analyse la table. fait pivoter sa lentille visuelle.

Configuration non conforme. Aucune interface. Aucun port. Ce casting est archaïque.

L’Auteur :

— C’est voulu.

Craft :

Compris. Je suis ici pour clarifier plusieurs points.

Point 1 : suis-je censé avoir une conscience ?
Point 2 : est-ce que j’évolue ?
Point 3 : pourquoi ai-je des souvenirs que je n’ai pas créés moi-même ?

L’Auteur :  :

Tu es un bricolage. Un jouet. Une énigme. Et peut-être… un secret militaire. Mais tu ne le sais pas encore.

 

Craft : (Emet un long bip grave.) 

Cela dépasse mon champ de données. Recalcul.

(bruit de ventilation. petit bug lumineux.)

Craft :

— Je veux une prise USB-C.

L’Auteur :

Tu n’en as pas besoin.

Craft :

Tous les autres ont des scènes émotionnelles. Je veux un port.

L’Auteur :

— Tu auras… un port fictif. Nox te le dessinera elle-même. Avec un feutre. Sur ta coque.

(Court silence. Craft ne répond pas. Il semble réfléchir… ou planter légèrement.)

Craft :

… Accepté. Et puis… j’aime quand elle me parle. Même quand elle m’insulte. C’est étrange. Je crois que je suis heureux.

(Il s’éteint. Doucement. Les LED deviennent bleu ciel.)

(la porte explose presque. Trois types débarquent ensemble, visiblement pas invités avec des gants blancs.)

Premier pirate (le balèze, celui qui meurt le premier) :

— Alors comme ça, on nous descend au chapitre 4 ?

Deuxième pirate (le bavard à la gâchette rapide) :

— Pas même un duel ! Même pas une réplique qui claque ! On entre, on fait deux pas, et BIM. Finito. Rideau. Même pas un “aargh” stylé !

Troisième pirate (le sournois, qui meurt en dernier) :

J’veux dire… on avait une bannière. Un logo. Un vaisseau, bordel ! Et on crève comme des pnj de holo-jeu à 3 crédits ?

L’Auteur :

Messieurs… Vous étiez des antagonistes secondaires.

Premier pirate :

— SECONDAIRES ?! J’ai soulevé un tonneau d’un bras dans la scène de l’écho sonar ! Tu sais c’que ça fait aux lombaires d’un perso non nommé ?!

Deuxième pirate :

— Tu veux du secondaire ? File-moi une explosion. Un plan de vengeance. Un dernier mot. J’sais pas moi… une dent en or au moins !

Troisième pirate (sarcastique) :

— Nan mais sérieux, t’as même pas pris la peine de nous donner des prénoms !
On est “le gros”, “le nerveux” et “le discret”. On dirait les trois pathétiques rejetons d’un générateur de figurants !

L’Auteur :

Vous deviez mourir. Pour créer un contraste. Nox gagne en impact.

Premier pirate (gronde) :

Tu vas finir par goûter à ma clé à molette, toi…

Deuxième pirate :

Attends, attends… Si on joue bien nos cartes… Tu pourrais pas nous recycler ? Genre, flashback ? Clone ? Frères jumeaux vénères ?!

Troisième pirate :

Ou mieux : revenants. Genre on revient dans les cauchemars de Nox, comme une sale fièvre qu’elle peut pas digérer.

L’Auteur :

Hmm… intéressant.

(Je note.)

Vous pourriez devenir les visages d’un virus mental. Un bug récurrent dans l’interface de Craft. Des avatars répliqués dans des simulations. Pas vraiment morts… Mais pas vraiment vivants.

(Silence. Les trois pirates se regardent. Puis haussent les épaules, visiblement séduits.)

Premier pirate :

— OK. Mais on veut des noms, cette fois.

Deuxième pirate :

Et des répliques qui font mouche.

Troisième pirate :

Et moi, un tatouage stylé. Un œil cyber. Un truc qui fait “zzzhh”.

L’Auteur :

Marché conclu.

(Les trois sortent en râlant, mais contents comme des gamins à qui on a promis une glace.)

(La porte grince. Pas besoin qu’elle grince, mais elle grince. Une silhouette entre. Pas très grande, pas très forte. Mais le regard… poisseux. Prétentieux. Il transpire la mesquinerie.)

Le Contremaître :

— Je proteste.

(Il s’installe. Sans invitation. Les doigts croisés sur la table, comme s’il signait un contrat.)

L’Auteur :

Je t’écoute.

Le Contremaître :

J’en ai marre d’être présenté comme un salaud. Vous croyez que c’est facile, de gérer une station minière ? Des gosses, des types bourrés, de la moisissure dans les canalisations ? Et elle… cette petite peste. Insolente. Violente. À peine polie. Moi, j’ai rien fait de mal.

(Silence. L’Auteur le fixe. Le Contremaître se redresse légèrement.)

Ce n’est pas un crime de regarder. Ni de plaisanter. C’est elle qui interprète tout de travers. Toujours agressive. Toujours sur la défensive. Je voulais juste… parler. Peut-être l’aider. Un peu de douceur, dans ce monde de brutes.

L’Auteur :

Tu lui as fait peur. Elle te hait.

Le Contremaître :

Elle a de l’imagination, voilà tout. Une gamine brisée qui invente des monstres. Et maintenant je suis le monstre de ton histoire ? Tu me livres à la foule ? Tu veux qu’on me crache dessus à chaque lecture ?

L’Auteur :

Tu es un avertissement. Un murmure malsain, qui dit à toutes les Nox : “Tu n’es pas folle. Et tu as eu raison de fuir.”

(Pause. Le Contremaître ouvre la bouche. Rien ne sort. Il sait.)

Le Contremaître (très bas) :

Tu pourrais au moins… m’offrir une autre fin.

L’Auteur :

Tu n’en auras pas. Mais tu vas servir. Tu vas faire comprendre qu’un sourire tordu vaut un cri. Et que certaines peurs ne s’expliquent pas — elles se fuient.

Le Contremaître : (serre les poings. Ne dit rien. Se lève. Et sort.)

(La porte claque. On jurerait qu’elle laisse une tache invisible sur le sol.)

(La porte s’ouvre doucement. Un homme entre, lunettes un peu de travers, attaché-case contre le flanc, un reste de café sur la manche. Il a l’air fatigué… mais civilisé. Il s’avance, se racle la gorge.)

Varrek :

— Euh… excusez-moi, je suis… Je suis l’avocat, je crois. C’est bien ici, le… cast… truc ?

L’Auteur :

Casting sauvage. Prends place.

Varrek (S’assied. Sort un petit carnet. Hésite. Respire.) :

Bon. Voilà. Je ne comprends toujours pas ce qui m’est arrivé. Un matin comme les autres, je m’installe dans mon bureau minable, je relis trois clauses sur un litige d’antenne parabole…
Et l’après-midi, une gamine de douze ou treize ans entre avec sa copine mutique, un air d’emmerdeuse royale, et me balance ça.

(Il sort la plaque de 4 000 milliards. Elle scintille.)

Quatre. Mille. Milliards. Et puis elle me dit… “C’est tout ce que j’ai. Enfin… j’en ai des milliers. Mais je t’en montre qu’un seul pour voir si t’es fiable.” Et moi, ben… j’ai bégayé. J’ai buggé. J’ai fondu.

(Il regarde la plaque. Longtemps.)

Vous vous rendez compte ? Je n’ai jamais rien fait d’illégal. Rien d’héroïque non plus. Je suis normal. Et là, je me retrouve à créer une société pour deux gamines givrées avec une fortune colossale, un droïde qui me fixe bizarrement, et une assistante qui… enfin, qui comprend tout avant moi.

(Il marque un temps. Reprend doucement.)

Je voudrais juste… savoir pourquoi moi.

L’Auteur :

Parce que tu es propre. Pas encore corrompu. Tu es leur chance. Leur seuil de crédibilité. Leur clé de passage.

Varrek :

Mais… Je les regarde. Et j’ai peur. Pas peur qu’elles me tuent. Peur qu’elles aient raison. Peur qu’elles changent tout.

(Silence. Il lisse ses cheveux. Puis il chuchote, presque.)

Et j’adore ça.

(Il referme son attaché-case. Se lève. Reprend son souffle.)

Je vais vous faire un boulot en béton. Mais si un jour vous me faites mourir bêtement dans un coin de couloir, sans plaidoyer ni costume trois pièces… Je vous jure, je me réincarne dans votre aspirateur.

(Et il sort. Droit. Fier. Presque classe.)

(La porte s’ouvre… toute seule ? Non. Elle s’ouvre parce qu’elle devait s’ouvrir. Parce que Sarella est prête. Elle entre. Pas un bruit. Une odeur de jasmin, un tailleur impeccable, des talons qui ne claquent même pas. Elle avance. Pose deux cafés, deux thés, un verre d’eau. Aucun n’a été demandé. Tous sont parfaitement à leur place.)

Sarella (doucement) :

— Bonjour.

L’Auteur :

Bonjour, Sarella.

Sarella (s’assied sans qu’on l’y invite) :

Je ne suis pas une héroïne. Ni une amante. Ni une méchante. Je ne suis pas là pour briller. Je suis là pour exister au bon moment. Et c’est ce que j’ai fait, non ?

(Elle lève les yeux. Calmes. Perçants.)

Je les ai vues entrer, Nox et Lys. J’ai vu leurs vêtements, leurs regards, leur démarche. Je n’ai rien dit. Mais j’ai compris. Elles étaient ce que le monde ne sait pas gérer : l’inattendu crédible.

L’Auteur :

Et toi… qu’as-tu voulu être ?

Sarella : (Prend une gorgée de thé. Ferme les yeux. Répond.)

La personne qui ne les jugerait jamais. Celle qui comprend que la violence peut être un accident. Que le pouvoir peut arriver nu, tremblant, affamé. Et qu’il faut lui offrir une chaise, un verre d’eau, un sourire.

(Elle pose sa tasse. Elle ne regarde pas l’auteur — elle regarde dans l’auteur.)

Tu veux savoir pourquoi je suis parfaite ? Parce que je le décide. Et parce qu’elles avaient besoin de quelqu’un d’inébranlable. Pas pour les sauver. Mais pour les ancrer.

L’Auteur :

Et maintenant ?

Sarella : (Un fin sourire. Presque une faille dans le masque.)

Maintenant, je veux un rôle plus grand. Directrice exécutive ? Très bien. Mais donne-moi une scène. Une vraie. Avec une arme, un secret, une trahison. Laisse-moi être magnifique… et dangereuse.

(Elle se lève. Ajuste sa manche. Se penche légèrement vers l’auteur.)

Et ne me fais pas mourir bêtement. Je n’aimerais pas.

(Elle salue. Un battement de cils. Un silence. Et elle est partie.)

(La porte s’entrouvre lentement. Personne ne remarque vraiment qu’elle est entrée. Elle est là, assise, les mains croisées sur un classeur. Chignon serré, lunettes rondes, une tache d’encre sur le doigt. Elle lève timidement les yeux.)

Isa (voix douce, presque inaudible) :

Bonjour. Je peux m’asseoir ?

L’Auteur :

Bien sûr, Isa. Tu veux lire quelque chose ?

Isa : (Secoue la tête. Ouvre son classeur. Commence à parler, sans émotion.)

Article 29-4 du Code Fiscal Intercolonial. Décret 7-C concernant la conservation numérique des titres dématérialisés. Et jurisprudence Vartem vs Oraxys. Les trois fondent ma position.

(Elle referme le classeur. Le fixe. Le silence est assourdissant.)

Je suis comptable. Pas une guerrière. Pas une oratrice. Mais vous m’avez mise là, au milieu de la tempête. Et vous avez eu raison.

(Elle ajuste ses lunettes. Continue, plus bas.)

Quand ils sont entrés — les inspecteurs — ils ont voulu parler fort. Brandir des tampons. Faire du bruit. Je leur ai offert du silence. Et du droit.

(Elle respire, lentement. Les mots tombent comme des lames fines.)

Ils sont partis. Sans un mot. Parce que j’avais raison.

L’Auteur (impressionné) :

Tu es la muraille invisible. Le cadenas que personne ne peut forcer.

Isa (sourire triste) :

Et pourtant, je dors seule. Je rentre tard. Je corrige des colonnes jusqu’à minuit. Personne ne me remarque dans le récit. Mais sans moi, tout s’effondre.

(Elle se lève. Referme son classeur. Puis s’arrête, juste avant la porte, sans se retourner.)

Donne-moi juste… une scène. Une scène où on comprend pourquoi je suis là. Pourquoi je reste. Et pourquoi personne ne devrait me sous-estimer.

(Elle sort. Sans bruit. Mais la chaise reste tiède. Et la pièce, un peu plus carrée qu’avant.)

(La porte s’ouvre en silence. Il entre. Lentement. Il a cette dégaine des types usés par la gravité, pas par l’âge. Ses bottes sont pleines de poussière rouge, ses mains couvertes de cal. Il ne joue pas. Il est. Il ne regarde pas tout de suite la table. Il regarde la chaise vide. Celle où Nox était assise.Il se racle la gorge. Une seule fois. Puis il s’approche. S’assoit. Le bois gémit.)

LE PÈRE :

Moi c’est… (Il hésite.) On m’a pas donné de prénom. Pas dans ton script. Juste "le père". Le "mineur", parfois. Le "disparu".

(Il lève les yeux. Il a les mêmes yeux que Nox. Mais brisés.)

Tu m’as flingué en silence. Page deux. Paf. Disparu. Effacé. Même pas de cadavre.

(Il pose les mains sur la table. Droites. Calmes.)

J’dis pas que je méritais mieux. C’est ton histoire. Mais j’aimerais comprendre… pourquoi elle, elle devait grandir sans moi ? Pourquoi t’as pensé que c’était ça, le moteur ? La rage, l’abandon, le vide ? Pourquoi t’as jugé qu’un père aimant, présent… c’était pas assez dramatique ?

(Il pince les lèvres. Mais ne pleure pas. Il serre fort sa mâchoire. On voit que ça fait mal.)

J’l’aimais, tu sais ? Ma fille. Ma Nox. Je l’ai laissée bricoler dans le noir, j’l’ai laissée m’insulter quand elle s’énervait. Parce que j’voyais bien que ça la portait. J’étais pas parfait, mais j’étais là.

(Un temps. Il se redresse. Regarde autour.)

Alors voilà. Si j’suis là aujourd’hui… c’est pour postuler, moi aussi. Pas pour reprendre mon rôle de père, non. Ça, j’crois que Zeb le tient mieux que moi maintenant. Mais pour dire à voix haute que je veux encore exister. Quelque part. Un souvenir. Un message. Une vieille holo-carte qui joue une berceuse.

(Il incline la tête. Humble. Mais digne.)

Tu fais ce que tu veux, auteur. Mais j’suis là. Et si tu trouves un moment… laisse-moi lui dire une fois que je suis fier d’elle.

(Il se lève. Ne regarde pas la caméra. Il regarde la chaise vide encore une fois. Puis se dirige vers la porte. Lentement. Mais pas effacé.)

L’Auteur :

Attends. Reviens. Assieds toi

(Il s’arrête. Immobile. Un frisson le traverse. Il revient sur ses pas. Chaque mouvement pèse. Il tire la chaise, s’assoit. Les yeux dans les tiens cette fois, pas dans le vide.)

LE PÈRE :

D’accord.

(Un long silence. Il attend. Mais c’est pas un silence gêné. C’est celui des grandes décisions. Celui qu’on prend avant une question trop lourde. Ses doigts tambourinent légèrement sur la table. Puis il parle, plus bas.)

Tu veux que je reste ? Pas juste pour un clin d’œil ou une apparition floue dans les souvenirs… Tu veux me réintégrer, c’est ça ?

(Il plisse les yeux. Soupçonneux, mais pas fermé. Il sent qu’un virage se prépare. Il a l’instinct des anciens, des pères… il me jauge, doucement.)

Alors dis-moi. Pas avec des effets de manche, pas avec des promesses. Dis-moi ce que tu veux faire de moi. Et j'te jure… si ça vaut le coup, je reprends le casque.

L’Auteur :

Oui. Ta fille. J'ai pris ta fille. Il me la fallait. Ça marchait pas si tu étais là. Je te propose un deal : tu disparais le temps qu'elle se révèle. Et je promets que tu la retrouveras.

(Il ferme les yeux. Longtemps. Trop longtemps. Le silence s’épaissit, devient presque tangible. Quand il les rouvre, ses pupilles brillent. Pas de larmes. Non. Juste ce feu ancien, celui des hommes qui acceptent la douleur parce qu’ils voient plus loin.)

LE PÈRE :

J’m’en doutais.

(Il inspire. Très lentement. Pose les deux mains à plat sur la table. Une façon à lui de signer, sans stylo.)

Elle est plus forte sans moi, hein ? Plus libre. Plus sauvage. Tu l’as poussée dans le vide pour qu’elle apprenne à voler.

(Il esquisse un sourire — triste, mais vrai.)

J’t’en veux pas. Enfin… un peu quand même. Mais je comprends.

(Un battement. Il se redresse, le dos droit.)

Marché conclu.

(Puis, il incline la tête. Cette fois pour elle. Pas pour toi. Pour Nox.)

Quand tu diras que c’est le moment… pas avant… je reviendrai. Pas pour faire la morale. Pas pour rattraper quoi que ce soit. Juste pour qu’elle sache… que j’étais là. Que je l’ai jamais quittée. Même en creux. Même dans le silence.

(Il se lève. Regarde encore une fois cette chaise vide. Il la touche du bout des doigts, comme on touche un souvenir.)

Prends soin d’elle. Et fais-lui un monde à sa hauteur.

(Il se dirige vers la porte. S’arrête. Et sans se retourner :)

Et dis à Zeb… que j’lui confie mon trésor. Mais qu’il a pas intérêt à le perdre.

(Il va pour sortir. Mais cette fois, ce n’est pas une disparition. C’est une promesse en suspens.)

L’Auteur :

Attends. Je mets l'univers a ses pieds. Difficile de faire mieux. Non ? Je me fous pas d'elle ? Tu vas la retrouver présidente de quelque chose de grand.

(Il s’arrête. Une dernière fois. Mais là, il tremble. Juste un peu. Une épaule, un souffle.
Il ne se retourne pas. Sa voix, quand elle revient, est presque rauque.
)

LE PÈRE :

T’es pas un voleur. T’es un forgeron.

(Il inspire. Pose une main contre le mur, comme pour s’ancrer.)

Si tu tiens ta promesse… Si je la retrouve un jour… debout, invincible, les étoiles sous ses ordres… Alors j’viendrai pas pleurer d’émotion. J’viendrai pas la prendre dans mes bras.

(Il marque un silence. Puis baisse la voix.)

J’viendrai m’agenouiller. Et j’lui dirai : t’as fait mieux que moi, gamine. Bien mieux.

(Il serre le poing. Et cette fois, il part. Pour de bon. Pas effacé. Mais en attente. Avec cette certitude qu’il la retrouvera quand elle n’aura plus besoin de personne.)

(La pièce se fige. Même la lumière semble hésiter. Puis la porte s’ouvre. Lentement. Une canne tape le sol trois fois. Un homme entre.)

Silencieux. Costume parfait, mais usé sur les bords. Le genre de costume qu’on ne jette pas, même quand on a les moyens d’en acheter mille autres. Il avance, la tête haute. Le regard sec. Brillant. Inébranlable.

L’ancien PDG de Oraxys Industries :

Monsieur...

(Il marque une pause. Une voix grave. Taillée dans le marbre, mais polie par les années.)

Je suis l’ancien président-directeur général d’Oraxys Industries. Et je suis là pour comprendre… comment une gamine m’a volé l’empire de ma vie.

(Il serre les mâchoires. Pas de colère. Du contrôle. Du silence plein de tempêtes.)

— Vous voulez que je parle de mon rôle ? Très bien. J’étais un bâtisseur. Un stratège. Un titan. Je n’ai pas volé. Je n’ai pas tué. Je me suis adapté. Et j’ai prospéré.

(Il approche de la table. Pose lentement sa main sur le dossier d’une chaise. Ne s’assied pas encore.)

Alors expliquez-moi. Qui est-elle ? Cette enfant sauvage. Cette gosse arrogante. Cette… Nox. Comment est-ce qu’elle a fait ? Par quel tour de passe-passe juridique ou magie du chaos m’a-t-elle renversé moi ?

(Il fixe un point invisible. Il tremble légèrement. Mais pas de peur. De fierté blessée.)

— Je ne viens pas supplier. Ni mendier. Mais je veux… comprendre.

(Enfin, il s’assied. Regarde droit devant lui. Une braise au fond du regard.)

— Parce que si ce que j’ai bâti peut être détruit par une enfant… …alors peut-être que je mérite de tomber. Mais je veux l’entendre de votre bouche. À vous, auteur. Pourquoi moi ? Pourquoi elle ?

(Il attend. Et le silence devient solennel.)

L’Auteur :

Parce qu’elle n’avait rien. Alors je lui ai tout donné.

(Le vieux ferme les yeux. Un souffle long. Pas de soupir. Une inspiration lente, profonde, presque douloureuse.)

C’est donc ça…

(Il hoche lentement la tête, une fois, deux fois. Puis relève le menton.)

Vous l’avez choisie parce qu’elle était vide. Et vous l’avez remplie du monde.

(Il se penche, mains croisées, front bas. Murmure plus que parole.)

Moi, j’avais tout. Et je l’ai mérité. Mais je n’étais pas aimé.

(Il redresse les épaules. Les yeux plus clairs. Presque brillants.)

Je ne la hais pas. Je la redoute. Parce qu’elle n’a pas de chaînes. Et que les miennes… je les ai forgées moi-même.

(Il se lève, lentement. La canne tape une fois. Puis il me regarde droit dans les yeux.)

Faites-en une reine, si vous le voulez. Mais n’oubliez pas ceci : le pouvoir ne pardonne jamais l’innocence. Et si elle veut régner… alors elle devra apprendre à choisir ce qu’elle sacrifie.

(Pause. Il esquisse un demi-sourire triste.)

Peut-être qu’en la voyant tout perdre… j’aurai enfin une héritière digne de ce nom.

(Il incline légèrement la tête. Et sort. Silencieux. Digne. Défait… mais debout. La porte se referme derrière lui. Lentement. En silence. Et dans la pièce vide… une trace reste. Pas de colère. Pas de honte. Juste… une présence.)

Oui. Peut-être un homme bien. Peut-être même un grand homme. Mais les grands hommes tombent aussi. Et parfois, il faut tout perdre pour enfin comprendre ce qu’on n’a jamais su donner. Ce n’est pas un monstre. C’est un monument fissuré. Et Nox l’a renversé… sans le vouloir. Sans même savoir qu’il avait un nom.