Lys
Lysia Vel Korshen n'a que 18 ans, mais elle n’a plus l’âge de pleurer. Elle l’a eu, autrefois. Mais ce temps s’est éteint, recroquevillé entre les murs d’une soute obscure, au fond d’un cargo pirate où la lumière ne servait qu’à mieux voir la peur.
On la croit douce, parce qu’elle parle bas. On la croit fragile, parce qu’elle ne se défend pas. Mais ceux qui ont vu ses yeux quand elle se tait savent qu’elle ne pardonne rien. Lysia n’est pas une survivante. C’est une cicatrice qui marche. Une faille humaine tenue debout par la volonté et par cette absurdité magnifique qu’on appelle la loyauté.
Elle est grande. Trop grande, selon elle. Élancée, pâle, presque translucide sous certaines lumières. Ses cheveux blonds, coupés courts depuis peu, trahissent une nécessité plus qu’un choix — elle ne supporte plus ce qui entrave, ce qui pend, ce qui rappelle les chaînes. Ses gestes sont mesurés, presque économes. Comme si chaque mouvement devait être justifié, anticipé, contrôlé. Rien de théâtral. Elle a désappris ça.
Autrefois, Lysia Vel Korshen portait l’uniforme du SECTA. Recrutée jeune, après un échec académique prometteur, elle avait été envoyée en mission d’infiltration dans un réseau de contrebande. Mission écourtée. Repérée. Capturée. Ce qui devait durer quelques semaines s’est transformé en six mois de silence et de douleur, sans procédure, sans extraction. L’ASPIC ne voulait pas s’en mêler. La FCoT fermait les yeux. Et le SECTA, lui, préférait oublier.
Elle aurait pu disparaître là.
Mais un jour, une gamine furieuse a ouvert la mauvaise soute, et l’a trouvée. Ou la bonne soute, selon le point de vue. Depuis, Lys n’est plus seule. Nox ne lui a rien demandé. Pas d’explication, pas de justification. Elle lui a simplement tendu une ration, un blouson trop grand, et ce regard franc, brutal, insupportable de sincérité. Ce jour-là, Lysia Vel Korshen a pleuré. Une dernière fois.
Depuis, elle avance.
Elle n’élève jamais la voix. Elle s’exprime avec une clarté désarmante, presque clinique. Sa formation juridique n’est plus à prouver : elle connaît les procédures, les articles intercorporatifs, les failles du système. Elle est la raison quand Nox est la rage. Elle est le “madame” poli pendant que Nox gronde “connard”.
C’est elle qui structure. Qui rédige. Qui signe.
Mais ce qu’elle incarne, surtout, c’est la dignité. Celle qu’on a voulu lui a volé, et qu’elle reconquiert chaque jour sans jamais en parler. Sa présence seule suffit à poser le décor. Quand elle entre dans une pièce, les voix se taisent — non pas par crainte, mais par respect. Car elle n’a rien à prouver. Elle est ce que la douleur n’a pas réussi à détruire.
Son lien avec Nox est à part. Au-delà des mots. Une fusion de regards, de gestes, de silences. Nox explose, Lys recueille. Nox se débat, Lys veille. Ensemble, elles avancent. L’une en feu, l’autre en eau. Deux gamines devenues deux âmes maîtresses d’un empire qu’elles n’avaient jamais demandé.
Lys ne dort jamais très bien. Elle serre parfois contre elle une chaîne métallique, mince et sans valeur, que personne ne lui a vue enlever. Pas un bijou. Un rappel. Un ancrage. Une promesse faite à soi-même de ne plus jamais se taire.
Lysia Vel Korshen, 18 ans.
Vice-Présidente de CorpNZ Refund Vitæ.
Et conscience silencieuse de tout ce qui s’y construit.